Retard de diagnostic en santé : comprendre la responsabilité médicale
La responsabilité des professionnels de santé en cas de retard de diagnostic est un sujet crucial en droit médical. En vertu de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé sont tenus de réparer les préjudices causés par leurs manquements, notamment en matière de diagnostic.
Cet article explore le cadre juridique et les implications pratiques de cette responsabilité, en se focalisant sur la notion de perte de chance et les décisions jurisprudentielles récentes.
Cadre juridique de la responsabilité pour retard de diagnostic
L’article L.1142-1 du code de la santé publique pose le principe de la responsabilité pour faute des professionnels de santé. Ainsi, ces derniers (médecins libéraux, centre hospitalier publics, cliniques privées) ne sont pas responsables de plein droit en cas d’erreur de diagnostic.
Ils sont en revanche tenus d’indemniser les préjudices en lien avec leurs manquements lorsqu’ils n’ont pas entrepris toutes les démarches nécessaires à l’établissement du diagnostic dictées par les données acquises de la science. Dans ce cas, ils sont tenus d’indemniser le dommage au titre de la perte de chance.
Ainsi, l’Expert Judiciaire et les Juges devront se prononcer sur les conséquences qu’ont eues les manquements dans la démarche diagnostic sur l’évolution de l’état de santé du patient. Le patient souffrant, par hypothèse, d’un état antérieur, c’est-à-dire d’une pathologie préexistante, il importe de déterminer quelles chances il a perdues de voir son état évoluer de manière plus favorable.
Le rôle du médecin-conseil de la victime est alors essentiel. Il devra produire de la littérature scientifique permettant d’étayer un raisonnement de nature à établir le taux de perte de chance. La victime sera ensuite indemnisée de son préjudice en proportion du taux de perte de chance retenu par le Tribunal.
Jurisprudence et application pratique
Cas concret de responsabilité pour retard de diagnostic
Dans un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille le 22 juillet 2020, la responsabilité du centre hospitalier a été retenue en raison d’un retard fautif de diagnostic. Un patient s’était présenté suite à un accident lui ayant causé une plaie importante du pouce.
Une intervention avait été pratiquée conformément aux règles de l’art, pour réparer la rupture du long fléchisseur. En revanche, l'accident avait aussi provoqué une lésion du nerf collatéral ulnaire du pouce droit qui n'a pas été détectée lors de l'exploration de la plaie, ce que l’expert avait estimé fautif.
La Cour rappelle : « Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. »
Elle conclut : « le défaut de diagnostic fautif a fait perdre à M. D. une chance d'obtenir une récupération de la sensibilité liée au nerf collatéral ulnaire. Eu égard à la circonstance que la réparation, même réalisée immédiatement, d'une lésion du nerf collatéral ulnaire telle celle présentée par M. D..., ne permet pas une récupération satisfaisante dans tous les cas, cette perte de chance doit être évaluée à 50%. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'il y avait lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Perpignan la réparation de 50% du dommage corporel de M. D. ... »
Cet arrêt est tout à fait conforme au principe de réparation intégrale du préjudice en lien avec la faute commise, le dommage réparable étant celui en lien avec la perte de chance induite par le retard de diagnostic.
Charge de la preuve et implications pour les victimes
Le Conseil d’Etat a rendu, le 12 juillet 2023 l’arrêt n°461819 portant sur l’indemnisation de la perte de chance en raison d’un retard de diagnostic et la charge de la preuve de la perte de chance en lien.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat se penche sur le droit des proches d’un patient décédé d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Le patient s’était présenté à 23h30 au service des urgences d’un centre hospitalier en raison de douleurs thoraciques, malaises et vertiges. Suite à quelques examens, il est autorisé à rentrer au domicile le lendemain matin, à 5h30.
Il a présenté à 11 heures un nouveau malaise justifiant une hospitalisation en service de chirurgie thoracique et vasculaire où une coronographie a été pratiquée. Il est décédé dans les suites de cet examen après injection du produit de contraste.
L’expertise avait permis de déterminer que la prise en charge initiale du patient aux urgences était fautive alors qu’il avait été soigné ensuite conformément aux règles de l’art et données acquises de la science.
Les conditions dans lesquelles le patient a été pris en charge, la veille de son décès, au centre hospitalier n'avaient pas permis de poser le diagnostic du syndrome coronarien ST- dont le patient souffrait. Une prise en charge adaptée dans ce centre hospitalier aurait permis de soumettre le patient à des investigations complémentaires et de réaliser une angioplastie à froid. La coronographie qui a causé son décès aurait été évitée.
Les manquements retenus n’étaient pas la cause directe et exclusive du décès du patient et n’avaient pu avoir pour effet que de le priver d’une chance d’éviter, le lendemain, la réalisation de la coronographie, laquelle avait entraîné son décès.
La Cour administrative d’appel de Versailles avait déduit du fait que les conditions de prise en charge dans le service de chirurgie thoracique et vasculaire n’avaient pas été fautives, que la prise en charge fautive initiale de la veille n’avait finalement pas fait perdre de chance au patient de chance d’éviter le décès.
Le Conseil d’Etat annule l’arrêt sur les fondements suivants :
- D’une part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d’une chance d’éviter ce dommage.
- D’autre part, lorsqu’une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l’état du patient ou son décès, c’est seulement lorsqu’il peut être affirmé de manière certaine qu’une prise en charge adéquate n’aurait pas permis d’éviter ces conséquences que l’existence d’une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.
Cet arrêt est intéressant quant à la charge de la preuve. Il repose sur l’établissement de santé la charge de démontrer que les manquements commis ont été sans incidence sur l’évolution du patient. Il est donc essentiel, en expertise judiciaire, de poser à l’expert désigné les questions qui permettront au Tribunal de trancher.
En conclusion
Le retard de diagnostic est un aspect complexe de la responsabilité médicale. Il exige une analyse minutieuse des actions des professionnels de santé et des conséquences sur l'état de santé du patient. La jurisprudence récente met en lumière la nécessité d'une évaluation rigoureuse de la perte de chance, élément clé dans la détermination de l'indemnisation.
Pour les victimes, il est essentiel de s'appuyer sur des expertises judiciaires solides et sur l'accompagnement d'avocats spécialisés pour défendre efficacement leurs droits.