L’indemnisation de l’aléa thérapeutique
Les interventions chirurgicales présentent toujours un certain degré de risque qui doit être pesé et discuté avec le médecin.
Il peut arriver que, malgré les précautions prises par le praticien (chirurgien ou anesthésiste notamment), une complication rare et grave survienne.
La jurisprudence administrative et judiciaire a dû s’interroger sur les droits des victimes de telles complications, appelées aléa thérapeutique, à obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.
La Loi KOUCHNER du 4 mars 2002 a instauré un régime spécial d’indemnisation.
La définition de l’aléa thérapeutique
L’aléa thérapeutique a été défini par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 2000 (n°99-11735) en ces termes : la survenance, en dehors de toute faute du praticien, d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé.
L’indemnisation de l’aléa thérapeutique avant la Loi KOUCHNER du 4 mars 2002
Les solutions jurisprudentielles des juridictions judiciaires et administratives étaient divergentes avant l’entrée en vigueur de cette Loi.
Alors que la Cour de cassation excluait cette indemnisation, le Conseil d'Etat ouvrait une porte à cette indemnisation dans l'arrêt BIANCHI.
L’absence d’indemnisation de l’aléa thérapeutique par la Cour de cassation
Selon les règles classiques de la responsabilité civile contractuelle (ancien article 1147 du code civil), les professionnels de santé ne sont responsables qu’en cas de faute.
C’est en application de ces principes que la Cour de cassation rejetait toute demande d’indemnisation au titre de l’aléa thérapeutique.
C’est ainsi que dans l’arrêt précité du 8 novembre 2000, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation censurait la décision des juges du fond d’avoir condamné un neurochirurgien à réparer les conséquences de son intervention chirurgicale alors qu’elle avait exclu toute faute commise par le praticien.
La Cour de cassation rejetait ainsi le principe d’une obligation contractuelle de sécurité au visa des articles 1135 et 1147 du code civil alors applicables.
L’attendu de principe était ainsi rédigé :
« Attendu que la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient ».
L’indemnisation de l’aléa thérapeutique par le Conseil d’Etat : l’arrêt BIANCHI
Le Conseil d’Etat avait en revanche établi une jurisprudence plus favorable aux victimes, à travers l’arrêt BIANCHI du 9 avril 1993 (n°69336) qui permettait, à des conditions très strictes, l’indemnisation des victimes d’un aléa thérapeutique.
Les conditions posées par le Conseil d’Etat étaient très strictes :
« Lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité ».
L’affaire portée devant le Conseil d’Etat concernait un accident d’occlusion secondaire à une artériographie. L'expert retenait comme cause vraisemblable de l'accident une occlusion de l’artère vascularisant la moelle cervicale, laquelle aurait été provoquée par une petite bulle ou un petit caillot libéré au cours de l’exploration ou de l’évacuation du produit de contraste.
Il s’agissait d’un risque inhérent à ce genre d’examen mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permettait de penser que le patient y ait été particulièrement exposé.
Le Conseil d’Etat, en Assemblée, avait ainsi retenu la responsabilité du centre hospitalier.
Tel était l’état de la jurisprudence avant l’entrée en vigueur de la Loi KOUCHNER du 4 mars 2002.
L’indemnisation de l’aléa thérapeutique par la Loi KOUCHNER du 4 mars 2002
Cette Loi a prévu l’indemnisation par la solidarité nationale, à des conditions strictes, de l’aléa thérapeutique, uniformisant les règles applicables devant les juridictions judiciaires et administratives, pour les actes postérieurs au 4 septembre 2001.
Ainsi, l’article L.1142-1 II du code de la Santé Publique prévoit :
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. »
Il est ainsi dérogé aux principes classiques du droit de la responsabilité civile contractuelle en prévoyant qu’à certaines conditions les victimes d’un accident médical non fautif peuvent prétendre à l’indemnisation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale, en l’espèce un fonds de garantie : l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM).
Les critères à remplir pour prétendre à l’indemnisation de l’aléa thérapeutique, outre l'absence de faute du praticien, sont les suivants :
Sur les critères de gravité répondant aux conditions d’indemnisation par l’ONIAM
Pour prétendre à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale, le préjudice de la victime doit répondre à l’un au moins des critères de gravité suivants fixés à l’article D.1142-1 du code de la santé publique :
- Le taux de déficit fonctionnel permanent est supérieur à 24%
- La victime a été dans l’incapacité d’exercer son activité professionnelle pendant au mois 6 mois
- Le déficit fonctionnel temporaire a été supérieur ou égal à 50% sur une période de six mois consécutifs ou de six mois non consécutifs sur une période de douze mois
- La victime est déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survenue de l’aléa thérapeutique
- La victime démontre que les conséquences de l’aléa thérapeutique lui occasionnent des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence.
Sur l’imputabilité des préjudices à l’acte chirurgical
Il importe de démontrer que l’état séquellaire de la victime est imputable à l’acte de diagnostic ou de soins.
Ainsi, si les séquelles sont les suites d’un état antérieur sans lien avec l’acte chirurgical, et seulement les conséquences d’un échec thérapeutique, la victime ne peut pas prétendre à l’indemnisation de son préjudice.
Sur le critère d’anormalité du dommage
Selon la Cour de cassation, la condition d’anormalité est remplie (Cass. Civ. 1ère 22 septembre 2016 n°14-22409) :
- Quand l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement,
- dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
La première hypothèse peut être illustrée par le cas d’un grave accident d’anesthésie conduisant à un état végétatif se produisant à l’occasion d’une intervention de pose de prothèse de hanche.
La seconde hypothèse peut être illustrée par le cas d’une intervention chirurgicale d’une appendicite simple qui conduit dans les suites d’un accident non fautif au décès du patient. Dans les conditions dans lesquelles l’acte a été accompli, le patient aurait dû survivre, alors-même que sans intervention, le pronostic vital était engagé. Dans une telle hypothèse l’aléa est indemnisé.
En revanche, si le pronostic vital du patient était engagé et si l'acte chirurgical présentait des risques importants, alors la victime ne pourra pas être indemnisée au titre de la solidarité nationale.
Conclusion
Les victimes peuvent désormais, si elles remplissent les critères ci-dessus décrits, être indemnisées des préjudices en lien avec un aléa thérapeutique par l’ONIAM.
Cependant, l’ONIAM est, au même titre que les assureurs, un régleur et a des intérêts opposés à la victime. Il est donc indispensable, si vous pensez pouvoir prétendre à une telle indemnisation, d’être assisté par un avocat spécialiste en droit du dommage corporel.