L’évaluation du préjudice sexuel après un accident

Les séquelles physiques et psychologiques d’un accident peuvent avoir une incidence sur l’activité sexuelle de la victime, soit à titre temporaire, soit à titre permanent.

Il est essentiel que cette question, parfois taboue, soit abordée pour que ce poste de préjudice soit justement indemnisé.

Il importe de cerner l’ensemble des contours de ce poste de préjudice pour qu’il soit évalué conformément au droit applicable.

La définition du préjudice sexuel

La nomenclature DINTILHAC range le préjudice sexuel dans les postes de préjudices extra-patrimoniaux permanent, c’est-à-dire persistant après consolidation.

Les difficultés rencontrées par la victime dans sa sphère sexuelle avant la consolidation doivent être prises en compte au titre du déficit fonctionnel temporaire (Cass. Civ. 2ème 11 décembre 2014 n°13-28774).

Mise à jour : Cette absence d'indépendance du préjudice sexuel avant consolidation a été rappelée par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 avril 2024 (Cass.Civ. 2ème 25 avril 2024 n°22-17229).

Le préjudice sexuel dans la nomenclature DINTILHAC

La nomenclature DINTILHAC retient trois types de préjudices de nature sexuelle :

-        « Le préjudice morphologique qui est lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;

-        Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir)

-        Le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc) »

Ce préjudice doit être évalué in concreto.

Le préjudice sexuel défini par la Cour de cassation

La Cour de cassation a fait sienne la définition du préjudice sexuel telle que décrite dans la nomenclature DINTILHAC (Cass. Civ. 2ème 17 juin 2010 n°09-15842).

Elle a consacré l’autonomie du préjudice sexuel dans un arrêt du 28 juin 2012 rendu dans une affaire de faute inexcusable de l’employeur : (Cass. Civ. 2ème  28 juin 2012 n°11-16120)

« Attendu que le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d'agrément mentionné au texte susvisé, lequel vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs »

La Cour de cassation retient aussi que la gêne positionnelle dans l’acte sexuel justifie une indemnisation au titre de ce poste de préjudice (Cass. Civ. 2ème 4 avril 2019 n°18-13704).

 

L’évaluation du préjudice sexuel en expertise

En expertise amiable ou judiciaire, cette question du retentissement des séquelles de l’accident sur la sphère sexuelle doit être abordée et étayée.

L’évaluation du préjudice sexuel morphologique et lié à la fonction procréative

Ces deux composantes du préjudice sexuel nécessitent de produire des éléments médicaux justifiant l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires et/ou l’incidence sur les fonctions procréatives.

En concertation avec le médecin-conseil de la victime, il est essentiel de vérifier que le dossier médical est complet, que l’ensemble des bilans ont été réalisés.

L’évaluation du préjudice sexuel lié à l’acte sexuel

Pour rendre plus facile l’expression de ce préjudice, il est conseillé de rédiger avant l’expertise une liste des doléances, décrivant l'ensemble des restrictions rencontrées depuis l'accident.

Concernant le préjudice sexuel, il convient de décrire les gênes rencontrées, notamment positionnelles, en lien avec les séquelles de l'accident, la perte ou la baisse de la libido, les appréhensions rencontrées etc.

Les gênes ne se limitent pas aux seuls rapports génitaux.

Ainsi, une personne blessée à la bouche pourra rencontrer des difficultés lors des rapports bucco-génitaux dont il faudra tenir compte pour l’évaluation du préjudice sexuel.

Il convient de ne pas adopter une conception restrictive de l’activité sexuelle.

La remise en cause du préjudice sexuel par l’AREDOC

L’AREDOC se définit sur son site internet comme suit :

« L'Association pour l'étude de la Réparation du Dommage Corporel est un organisme professionnel au sein duquel est organisée la réflexion sur les divers problèmes que posent l'évaluation et la réparation du dommage corporel, quel qu'en soit le contexte. Cet organisme réunit assureurs, réassureurs et médecins experts intéressés par ces réflexions. »

Elle forme un très grand nombre de médecins à l’évaluation médico légale.

L’AREDOC publie sur son site un certain nombre de fiches, rédigées par la COREIDOC, laquelle est composée de 18 membres assureurs. Ces fiches sont destinées à des médecins pour les aiguiller dans le déroulement de l’expertise d’évaluation du préjudice corporel.

La Lettre de la COREIDOC n°18 est consacrée au préjudice sexuel.

Il est fait une distinction concernant l’évaluation du préjudice sexuel, tenant à la présence ou non d’une atteinte urogénitale.

Cette distinction ne ressort d’aucune définition légale ou jurisprudentielle du préjudice sexuel.

En effet, concernant la composante morphologique du préjudice sexuel, l’atteinte ne se limite pas à la sphère urogénitale, mais porte aussi sur les organes sexuels secondaires (par exemple des atteintes mammaires).

Limiter les atteintes morphologiques à la sphère urogénitale est très réducteur.

La COREIDOC de poursuivre, en parfaite contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation :

« La séquelle présentée, par exemple une limitation de l’amplitude articulaire, peut, dans certaines situations, générer une difficulté lors de la réalisation de l’acte sexuel qui reste cependant possible. Le médecin se prononce sur sa réalité, en rappelant que cet aspect est pris en compte dans le taux d’AIPP proposé au titre des « conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours » ».

 

Sur l’aspect indemnitaire, la COREIDOC poursuit.

Si une atteinte urogénitale est objectivée, le préjudice morphologique ne serait pas indemnisé au-delà de l'AIPP (notion que l'AREDOC substitue au déficit fonctionnel permanent dans les missions d'expertise, sans cependant prendre en compte l'ensemble de ses composantes).

Ainsi, d’après la conception de l’AREDOC, l’atteinte morphologique qui n’aurait pas d’incidence sur la fonction procréatrice n’aurait pas vocation à être indemnisée au titre d'un préjudice spécifique, ce en parfaite contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation précitée. Seul le préjudice lié à la réalisation de l'acte sexuel serait susceptible d'être indemnisé.

La COREIDOC de poursuivre qu’en l’absence d’atteinte morphologique, il n’existerait « sauf cas particulier » pas de préjudice spécifique distinct, touchant à la sphère sexuelle.

De comment remettre en cause les principes d’autonomie du préjudice sexuel et de réparation intégrale.

CONCLUSION

Lors de l’expertise, qu’elle soit amiable ou judiciaire, il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des composantes du préjudice sexuel.

Il convient d’être particulièrement vigilant en expertise amiable contradictoire, le médecin conseil de la compagnie d’assurance étant souvent formé en application des principes soutenus par l’AREDOC, qui ne correspondent pas au droit applicable.

Il est fondamental d’apporter la contradiction, avec un Avocat spécialiste en droit du dommage corporel et un médecin-conseil de victime, qui rappelleront la définition juridique exacte du préjudice sexuel.

Ne vous présentez pas seul en expertise.

 

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